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Qu’avons-nous fait de la médecine ? À l’heure de la médecine du 21e siècle, de quoi prenons-nous soin ?
La médecine contemporaine est marquée par une
contradiction : alors qu’elle s’enrichit de savoirs et de
techniques, elle tend à oublier celles et ceux qui la portent.
Les soignants, longtemps perçus comme invulnérables,
sont exposés à une souffrance profonde, issue de l’exigence
constante de disponibilité, d’abnégation et d’endurance. Or,
cette vulnérabilité - structurelle, existentielle - n’est ni reconnue
ni accompagnée. Elle est refoulée au nom d’un idéal sacrificiel
hérité du XIXe siècle, renforcé par une organisation du travail
fragmentée, technicisée et insensible à la relation. Face à
cette impasse, la pensée du care de Joan Tronto offre un cadre
éthique et politique précieux : elle rappelle que le soin n’est
pas un acte technique, mais un engagement à traverser les
vulnérabilités ensemble, dans un réseau de responsabilités
partagées. Le soin aux soignants devient alors une exigence
démocratique : il ne s’agit pas seulement de prévenir
l’épuisement, mais de garantir la qualité même du soin en
réaffirmant la dignité de celles et ceux qui le rendent possible.
Un soin qui détruit ses soignants se retourne contre sa propre
promesse. Réhabiliter le sens du soin, c’est donc refonder
nos institutions sur l’attention, la justice et la reconnaissance
mutuelle. Et peut-être, enfin, répondre à la question centrale :
de qui, et de quoi, prenons-nous soin - et à quel prix ?
EN
What have we done to medicine? In this 21st-century era of medicine, what is it that we are caring for?
Contemporary medicine is marked by a deep
contradiction: while it continues to grow in knowledge
and technology, it increasingly forgets those who
sustain it. Healthcare professionals, long perceived as
invulnerable, are in fact exposed to profound suffering,
driven by constant demands for availability, self-sacrifice,
and endurance. This vulnerability - structural and
existential - is neither acknowledged nor supported. It is
repressed under the weight of a sacrificial ideal inherited
from the 19th century, and reinforced by a fragmented,
technicalized work organization that ignores the relational
core of care. Against this backdrop, Joan Tronto’s ethics
of care offers a valuable ethical and political framework:
it reminds us that care is not a task, but a commitment
to navigate vulnerability together, within a network of
shared responsibilities. Caring for caregivers is therefore a
democratic imperative: not merely to prevent burnout, but
to ensure the very quality of care by upholding the dignity
of those who provide it. A healthcare system that destroys
its caregivers betrays its own promise. To restore meaning
to care is to rebuild our institutions on the foundations
of attentiveness, justice, and mutual recognition. And
perhaps, finally, to respond to the essential question:
whom do we care for, and at what cost?